De Confinibus

Condamnés à garder la chambre, lecteurs attentifs de Jean-Christophe ou obispierristes de The Voice, nous sommes tous pascaliens. Confinés entre « deux infinis »¹. Hashtag, Amis de Port-Royal. 

Au fond, cette assignation à résidence, cette retraite anticipée (et voilà un combat de gagné!) nous offrent la liberté de l’otium². Celle de compulser le Gaffiot, d’abord (comorbidité non répertoriée), dans lequel nous trouvons: confine, is ; confinis, e ; confinium, ii… Des mots qui chantent, qui parlent  voisinage, limite, frontière (mais qui taisent le fait que le virus n’a pas de passeport), des mots qui se mettent volontiers au pluriel (de confinibus, de confiniis) nous ouvrant des horizons sans limite, nous laissant une liberté souveraine. « Aux confins du rêve »³, à la conquête de notre patrie intérieure(4).

Alors, en cette fin d’année scolaire, après avoir co-construit les apprentissages, imparfaitement, m’être concon-struite, souvent, sur le point de dé-co-construire le travail mené avec mes élèves pour les mener au bac-à-confiné (contenu minimal pour réussite optimale), je m’adonne à l’otium. Je me confine, je cocon-fine, avec bonheur, et ce, en compagnie d’Antoine de Saint-Exupéry.

Roue de Dichamp

La semaine dernière, pédalant sur mon Duchamp made in China, j’écoutais une émission radiophonique portant sur Saint-Ex, écrivain, aviateur, humaniste, homme de guerre. Comme tous les ados, étouffant quelques bâillements, j’avais fait du Petit-Prince mon livre de chevet. La découverte s’était arrêtée là. Et soudain, après avoir parcouru vingt kilomètres (oui, mais résistance maximale), brûlé huit-cents calories (diesel), confiné quinze jours, le tout sur place, pris quelques rides et quelques lustres,  j’ai croisé sa route, « pavée d’étoiles »(5). 

Saint Exupéry

Tout a commencé (je parle de notre rencontre) par un raout entre stars : en 1941, à New-York, Saint-Exupéry dîne aux côtés d’André Breton. A l’issue, peut-être au cours de cette soirée, le « pape du surréalisme » somme Saint-Exupéry de choisir son camp : Vichy ou la Résistance.

Saint-Exupéry lui répond par une leçon de style, un appel des sommets, une réflexion d’une grande noblesse sur l’engagement et le sens de la vie humaine(6). Une invitation à entrer dans son oeuvre. 

Depuis lors, transat plein sud, vue (partielle, nous avait dit l’agent immobilier, c’est sûr que ce n’est pas la salle 122) sur les cimes enneigées, je vole avec Saint-Ex : L’Aviateur, Courrier Sud, Vol de nuit, Terre des hommes, les tourbillons du Sahara, le ciel aveugle des Andes, « les profondeurs de la nuit », « les mers fabuleuses », « l’aimant pâle »(7) des astres… Méditation, immense, sur cette dialectique, au creux de l’âme humaine : demeurer dans la maison familiale qui fleure le bonheur ; accomplir, par l’action, cette part de l’homme qui résiste, alors « qu’un jour, fatalement, s’évanouissent, comme des mirages, les sanctuaires d’or »(8). Et cette interrogation du chef, Rivière, lourd de ses responsabilités, dont « la grandeur est de se sentir responsable »(9) : « Si la vie humaine n’a pas de prix, nous agissons toujours comme si quelque chose dépassait, en valeur, la vie humaine… Mais quoi ?»(10)

L’Infini, entre deux confinés.

Clotilde Lancrenon

¹Les Pensées, fragment 185, Pascal.

²Loisir studieux réservé à l’homme libre chez les Romains.

³Nous rentrons dans la nuit, sous le feu du bord d’une cigarette, et le monde reprend ses vraies dimensions. A gagner Port-Etienne vieillissent les caravanes. Saint-Louis du Sénégal est aux confins du rêve. Courrier Sud, Saint-Exupéry.

4 On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure. La France contre les robots, Bernanos.

5 Elle pensait à tout ce qu’il faut rejeter pour conquérir.

« Tu n’aimes pas ta maison ?

– J’aime ma maison… »

Mais déjà sa femme le savait en marche. Ces larges épaules pesaient déjà contre le ciel.

Elle le lui montra.

« Tu as beau temps, ta route est pavée d’étoiles. » Vol de nuit, Saint-Exupéry

6  Ma position vis-à-vis du nazisme a été telle que, au cours de la guerre, j’ai fait casser trois mutations successives qui tendaient à sauver ma précieuse personne, dont une au cours même de l’offensive allemande, alors qu’il ne rentrait qu’une mission sur trois et que, dans mon idée, je ne pouvais pas espérer survivre deux jours. Je suis étranger à la chance qui me vaut le privilège d’être critiqué (…). Il est dommage que vous ne vous soyez jamais trouvé face au problème de la mort consentie. Vous auriez constaté que l’homme a besoin alors, non de haine, mais de ferveur. On ne meurt pas « contre », on meurt « pour ».

7 Courrier Sud, Vol de nuit.

8 Vol de nuit.

9 Terre des hommes.

10 Vol de nuit.