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Oh les beaux jours !

© Manon Schieres

Le monde de la librairie indépendante est menacé. Mais comme la désindustrialisation, cela ne date pas d’hier. Leur chiffre d’affaires a baissé de 5,4 % entre 2003 et 2010. Même si elle est relativement récente cette tendance se manifeste depuis que les grandes surfaces culturelles et les sites de vente en ligne se sont développés, au détriment du libraire derrière son comptoir, avec ses livres qui sentent bon le neuf. Écrasé sous les grosses franchises nationales et internationales, ce type de librairies est réellement menacé. Soit les librairies sont anciennes et, lorsque le gérant part à la retraite, personne n’est là pour reprendre l’affaire, soit elles font faillite.

 

Pourtant, je suis persuadée que les bibliophiles sont prêts à réinvestir ces lieux de prédilection des lecteurs et aussi de partage, si on leur en donne seulement la possibilité ! C’est pourquoi derrière ces constats négatifs, certaines librairies apportent de l’espoir aux gens qui entendent les soutenir.

 

À Tarbes par exemple, 18 avenue de la Marne, la librairie  « Les Beaux Jours » ouvre ses portes aux amateurs de livres. Et tous ceux qui y entrent sont comblés. C’est une librairie comme tout bon bibliophile en rêve : remplie de livres du sol au plafond, elle sent bon l’encre et le papier et est tenue par deux femmes adorables… qui s’y connaissent ! Cette librairie porte bien son nom : il annonce de beaux jours à quiconque y entre en aimant les livres et peut-être même à ceux qui les aiment moins !

Nous sommes allés à la rencontre d’Hélène Serra et de Florence Andrieu.

Florence a répondu à nos questions en l’absence de sa collègue.

 

Théonet : D’où vous est venue l’idée de monter votre propre librairie et aussi pourquoi être ainsi indépendante ?

Florence Serra : Nous étions toutes les deux vendeuses pour l’espace culturel Leclerc. Chacune de nous deux était responsable d’un rayon, de la commande à l’aménagement. Cependant, malgré la grande liberté que cela nous conférait, nous éprouvions une frustration de ne pas exercer notre métier de libraire comme nous l’entendions. Le cadre et l’effet de grosse machine que donnait cet emploi, l’absence de contact avec les lecteurs, trop de diversité, de vitesse, tout cela faisait perdre son sens à notre travail. Lorsque nous avons toutes deux arrêté de travailler là-bas, nous avions, chacune dans notre coin, l’idée de monter une librairie indépendante ou d’y travailler au moins. Comme il n’en existait plus à Tarbes à ce moment-là, l’idée tombait à pic.

 

TN : À quoi cette envie est-elle tout particulièrement liée et quelle est votre façon de penser la librairie, ou du moins la vôtre ?

F.S. : Notre projet vient d’une envie de retrouver un sens à notre travail. Nous voulions une librairie plus petite, moins impersonnelle. Nous voulions effectuer une plus grande sélection dans les ouvrages que nous proposons, d’une certaine façon, nous créer une identité bien à nous. Nous voulions un vrai lieu, accueillant, beau, où l’on puisse se sentir comme chez soi, une deuxième maison pour les bibliophiles.

Notre librairie reste un commerce, mais pas à n’importe quel prix. Nous pensons que plus on avance dans le temps et la technologie, plus les gens ont envie de choses simples, à taille humaine. Dans une société où nous sommes agressés de tous les côtés, nous avons besoin d’endroits où l’on se sent bien. Nous avons aussi une dimension d’acteur culturel. Nous souhaitons investir notre magasin de réflexions et d’amusements au travers des animations que nous organisons (rencontres avec les auteurs, activités de réflexion autour d’un livre).

  

© Manon Schieres

TN : Comment effectuez-vous votre sélection de livres ?

F.S. : Nous choisissons beaucoup selon les propositions des éditeurs et de leurs catalogues ; en général ils sont de bon conseil. Nous allons aussi beaucoup sur Internet, sur les blogs de lecture, surtout pour les livres jeunesse. De plus, j’ai une fille de treize ans qui est de très bon conseil ! (rires)

On se tient au courant tout le temps, dans la presse, sur les blogs de libraires, sur Internet. On prend aussi, de temps en temps, le soin de lire des romans jeunesse. Nous consultons encore des blogs et on y recueille des avis.

 

TN : Comment choisissez-vous les livres que vous mettez en avant sur vos présentoirs ?

F.S. : Il y a certains livres que nous prenons parce qu’il faut les avoir. On sait qu’ils intéressent les gens et qu’on n’aura pas besoin de les vanter et de les mettre en valeur. On n’a pas la science infuse, c’est pour cela qu’on a ce qui plaît aux lecteurs, sans faire d’énormes piles de best sellers.

Nous, ce qui nous intéresse, c’est d’aller dénicher des livres chez des éditeurs qui ont besoin de nous et qu’on se mette derrière eux. Ce qui est assez rigolo, c’est que parfois nos meilleures ventes, c’est un truc dont personne n’a parlé, qui n’a presque pas eu d’échos dans la presse. C’est ça aussi le boulot du libraire indépendant, de promouvoir des livres et des éditeurs inconnus. Nous avons une envie, c’est que quelqu’un qui entre avec l’idée d’un livre ressorte avec un autre qu’il a découvert.

 

TN : Une dernière question : pouvez-vous définir votre travail en trois mots ?

F.S. : Mon travail ? … Passeur de textes. Dénicheur ou découvreur, et passionnée. Pour faire ce métier, comme c’est un commerce, il faut aimer le contact des clients, pas simplement les livres. Mais il faut évidement adorer les livres. Il faut être curieux, se tenir au courant. On parle beaucoup des menaces qui pèsent sur la librairie indépendante ; elles sont réelles, même si certaines s’en sortent bien. C’est la faute des pouvoirs publics bien sûr, des grandes surfaces culturelles, mais aussi de tous ceux qui vont sur Amazon et autres. Cette firme est là uniquement pour faire du profit, ce que je trouve mal, et c’est pour ça qu’on se bat. Ce n’est pas là qu’on peut faire des découvertes. Cependant pour chaque librairie qui se ferme, une autre s’ouvre. Il y a une nouvelle vague de libraires qui sont dans la même logique que nous. Si les librairies indépendantes disparaissaient, la bibliodiversité disparaîtrait avec elles. Car c’est ça que défendent les libraires indépendants, les petits éditeurs qui disparaissaient sans eux. C’est ça, la bibliodiversité : avoir Cinquante nuances de Grey et Six photos noircies de chez Attila.

  

Alors voilà : ce n’est pas la catastrophe, mais il faut se battre pour maintenir l’équilibre.

 

 

Manon Schieres

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