Marthe Gautier, découvreuse oubliée

L’effet Matilda est une théorie développée dans les années 80 par l’historienne des sciences Magaret W. Rossiter. Elle avait remarqué que les femmes scientifiques profitent moins des retombées de leurs recherches, que leurs contributions sont souvent réduites à des remerciements en bas de pages et qu’elles peuvent même être parfois effacées de l’histoire.
Parmi ces femmes scientifiques, victimes de l’effet Matilda, on retrouve Rosalind Franklin, physico-chimiste britannique qui est la première à obtenir une photographie d’ADN ou Lise Meitner, physicienne autrichienne, la femme qui a découvert la fission nucléaire.

Marthe Gautier, médecin française, est elle aussi, l’un des « emblèmes » de cet effet Matilda.

Née en 1925, elle grandit dans une ferme près de Meaux avec ses six frères et sœurs. Sa mère a de l’ambition pour ses enfants et souhaite en particulier que ses filles soient autonomes et aient une réussite sociale. Elles les poussent donc à faire des études

Marthe obtient son BAC avec Mention et en 1942, elle part faire médecine à Paris. Elle réussit brillamment le concours de l’internat des Hôpitaux de Paris. Il faut savoir qu’elles ne sont que deux femmes sur une promo de 80 à l’obtenir cette année là. Elle entre pour quatre ans et jusqu’à sa thèse, dans le service de cardio-pédiatrie du Professeur Robert Debré. Il remarque ses qualités et lui propose, ainsi qu’à deux de ses collègues, une bourse d’études d’un an à Harvard, afin d’acquérir des connaissances dans les domaines de pointes de la cardiologie pédiatrique. Ce sont les premiers internes des Hôpitaux de Paris à pouvoir bénéficier de ce type de formation.

A son arrivée aux États-Unis et alors qu’elle s’attend à poursuivre sa formation en cardio-pédiatrie, elle découvre que son contrat comprend aussi un mi-temps de technicienne dans un laboratoire de culture cellulaire. Cette technique, totalement méconnue en France,  consiste à faire croître des cellules hors de leur organisme. Marthe Gautier devient donc la première médecin française formée à la culture cellulaire.

A son retour en France, Marthe Gautier intègre le service du pédiatre et généticien Raymond Turpin. Ce professeur mène à cette époque des recherches sur les enfants atteints de « mongolisme » ou syndrome de Down et pense que ce syndrome est d’origine génétique. Mais des suppositions ou indices ne suffisent pas. La science a besoin de preuves.
A cette époque là, deux chercheurs suédois viennent de découvrir que l’espèce humaine compte 46 chromosomes. Ils ont mis au point une technique de culture cellulaire permettant de les observer.

Le professeur Turpin aimerait donc vérifier son hypothèse sur la cause génétique et donc peut-être chromosomique du syndrome de Down. Mais à l’époque, personne en France ne sait faire de la culture cellulaire, sauf Marthe Gautier qui a été formée à cette technique à Harvard.
Elle demande donc à ce qu’on lui mette à disposition un laboratoire et du matériel afin qu’elle puisse mener ses recherches. Mais aucun crédit de fonctionnement ne lui est accordé. Elle travaille avec une centrifugeuse, un vieux microscope et de la verrerie qu’elle a, elle-même, achetée.
Elle retrouve bien les 46 chromosomes observés par ses collègues suédois chez des personnes saines. Mais sur des cellules provenant d’enfants atteints du syndrome de Down, elle dénombre 47 chromosomes et la « paire numéro 21 » est en fait composée de trois chromosomes.
Le syndrome de Down ou mongolisme est donc bien une anomalie génétique et cette découverte va faire que le nom  de mongolisme va être remplacé par celui de Trisomie 21.
Jérôme Lejeune est un autre élève du professeur Turpin. Il travaille lui aussi sur le syndrome de Down et il se rend compte que Marthe avance dans ses travaux. Il lui rend donc de plus en plus régulièrement visite dans son petit laboratoire.


Afin de publier un article dans une revue scientifique et ainsi faire valider sa découverte, Marthe Gautier aurait besoin d’un photo-microscope pour avoir un cliché des 47 chromosomes qu’elle a réussi à observer.
Jérôme Lejeune lui propose d’effectuer pour elle cette photographie. Elle lui confie donc ses lames observation et s’attend à un retour rapide des clichés. Mais Jérôme Lejeune ne lui ramène aucune photo prétextant qu’elles sont chez leur chef de service, le professeur Turpin.

En octobre 1958, il participe à un séminaire de génétique au Canada. Il en profite pour présenter en son nom les résultats de Marthe Gautier et le 26 janvier 1959, un article est publié dans une revue scientifique. Il est cosigné dans l’ordre par Jerôme Lejeune, Marie Gautier et Raymond Turpin. 
Non seulement au moment de la publication de cet article, Marthe Gautier n’a toujours pas vu les photos et n’a pas écrit une seule ligne sur sa découverte, mais en plus son prénom est mal orthographié (Marie à la place de Marthe) et n’apparaît qu’en deuxième position. Or l’usage veut que le premier nom soit celui du chercheur qui a imaginé et réalisé les manipulations, le deuxième est celui du chercheur qui a participé sans jouer un rôle essentiel et le troisième  est souvent celui du chef de service.

En plaçant son nom en premier , Jérôme Lejeune s’attribue la paternité de cette découverte qui propulse sa carrière. Il devient maître de recherches médaillé d’or et reçoit également le Prix de la fondation américaine Joseph Kennedy qui lui attribue deux chèques, l’un pour lui et l’autre pour subventionner son institut de recherches.

Marthe Gautier repart elle en cardio-pédiatrie et les années passent.

En 2009, l’année du cinquantième anniversaire de la  découverte de la Trisomie 21, Marthe Gautier raconte son histoire dans la revue Médecine Science. Elle raconte son trouble à cette époque. Elle a conscience de ce qu’il se dessine de manière sournoise. Mais elle n’a pas assez d’expérience, ni d’autorité dans le milieu médical. Un collectif d’une dizaine de chercheurs en génétique saisit en 2014 l’INSERM afin que soit rendu un avis sur la paternité de la découverte de la Trisomie 21.

Dans cet avis, il est écrit que : « L’approche technique est une condition nécessaire à la découverte-rôle clé de Marthe Gautier ; mais bien souvent il faut la prolonger pour en faire émerger la reconnaissance – contribution première de Raymond Turpin et par la suite de Jérôme Lejeune. La découverte de la trisomie n’ayant pu être faite sans les contributions essentielles de Raymond Turpin et Marthe Gautier il est regrettable que leurs noms n’aient pas été systématiquement associés à cette découverte tant dans la communication que dans l’attribution de divers honneurs.« 

Marthe Gautier est morte le 30 Avril 2022 à l’âge de 96 ans.

Elle a permis à la recherche française d’être à l’origine de la découverte de la Trisomie 21 et pourtant ce n’est pas elle qui a reçu les honneurs liés à cette découverte. Il aura fallu plus de 50 ans pour que soit reconnu son rôle dans la découverte du chromosome surnuméraire dans la Trisomie 21.

Vous pouvez également retrouver un article sur l’histoire de Marthe Gautier sur l’INA éclaire l’actu
                                                                                                                                                                                                           Hélène Lafitte

Producteur / co-producteur : France télévision – Journaliste : Rola Tarsissi Participants : Marthe Gautier, Corinne Royer

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