Frédéric Garcès, comédien et metteur en scène tarbais de la Compagnie des Odyssées, qui dirige depuis maintenant huit ans l’atelier théâtre de notre lycée, a répondu aux questions de l’équipe de ThéoNet.
– Frédéric peux-tu nous parler de ton parcours ?
J’ai découvert le théâtre au lycée lorsque j’avais 15 ans, sans vraiment savoir ce que c’était, mais je me suis très vite senti à l’aise sur scène en réalisant que j’avais accès à un moyen d’expression très riche. Après le BAC je suis allé à la Faculté de Lettres à Aix-en-Provence. Là-bas j’ai collaboré avec beaucoup de metteurs en scène qui transmettaient aussi bien les notions pratiques que théoriques, analyser une pièce, la dramaturgie, l’histoire du théâtre, les codes de jeu etc. J’y ai développé le travail du masque de Commedia del Arte, le masque balinais, le clown, la danse, le chant, et différentes techniques de jeu d’acteur. À 18 ans j’ai fait mes premiers pas en tant que professionnel sur la scène nationale du Merlan à Marseille, et étrangement c’est à ce moment là et pas plus tôt que je me suis dit que je pourrais envisager ce métier comme le mien ! J’ai passé une année à Montpellier, en licence de cinéma afin de me diversifier un peu avant de me décider de tenter l’aventure à Paris où j’ai vécu pendant dix ans. Les trois premières années j’ai intégré l’école des Enfants Terribles, j’ai joué dans de nombreuses pièces, j’allais beaucoup au théâtre pour découvrir et analyser le savoir faire de tous ces metteurs en scène et comédiens, et en 2009 je décide de créer la Compagnie des Odyssées. En 2010 je montais mon premier spectacle La postérité des asticots que j’avais écris, et dont la première s’est jouée au théâtre des Nouveautés à Tarbes. Quelques mois après, je partais en Argentine pour trois mois pour suivre une formation internationale du jeu d’acteur. À mon retour j’avais encore plus envie de mettre en scène, j’étais revenu sur Tarbes pour un temps limité, j’ai préparé Le journal d’un fou, suivi de l’Avare, mais je suis resté et je ne me suis plus arrêté jusqu’à aujourd’hui.
– Tu es responsable de l’atelier théâtre du lycée, cela doit être une expérience enrichissante. Que représente pour toi cet atelier ?
Je n’avais jamais envisagé occuper une place de ce genre. Mettre en scène oui, transmettre mon métier à des élèves non. Je ne m’étais jamais posé la question de savoir si j’étais capable ou pas. Puis Hervé Cazcarra, le professeur documentaliste du lycée, m’a contacté pour me proposer de diriger un atelier théâtre qu’il souhaitait mettre en place. Je me souviens seulement m’être dit « pourquoi pas ? essayons ! ». Et franchement j’y ai vite pris goût. Capter l’attention des élèves, leur donner un espace où ils peuvent être qui ils veulent mais surtout encouragés à aller à la rencontre d’eux-même, les voir évoluer, grandir, douter, rager, et s’élever, c’est un beau spectacle que j’avais l’honneur de voir chaque année. Pour moi cet atelier était comme un laboratoire à différentes fonctions. La première, je voulais, grâce au théâtre comme outil de travail, accompagner les élèves dans un processus de prise de confiance et de découverte de soi, afin qu’ils puissent raisonner plus sagement et ne pas être esclaves de leurs émotions. C’était une réelle envie de leur faire gagner du temps pour les préparer du mieux possible à l’après scolarité. Deuxièmement, grâce à cet atelier j’ai pu développer et expérimenter différents styles de théâtre, dans l’objectif de ne pas me répéter, certes, mais aussi pour m’essayer à différents codes, comme si je continuais mon propre apprentissage tout en m’occupant du leur. Rien n’est jamais acquis, tout n’est qu’échange, je transmets et j’apprends, ils apprennent et ils transmettront.
– Tu es déjà parvenu à monter sept pièces avec les lycéens, toutes couronnées de succès. Cette année, les représentations de La pesée du cœur les 12 et 13 mai au Théâtre des Nouveautés ne pourront malheureusement pas avoir lieu. Peux-tu nous parler du travail réalisé depuis le mois d’octobre et nous dire comment vis-tu cela en tant que créateur ?
C’est un véritable crève cœur. Prendre la décision d’annuler le spectacle a été horrible, tout en espérant que les choses pourraient encore changer. Ce qui est atroce c’est tout l’engagement de la part de toute une équipe qui a été bouleversé, le plan feu (la création lumière) avait déjà été réalisé, nous devions avoir de la vidéo dont le montage était en cours, la confection des costumes était lancée, le contrat avec le théâtre était déjà établi, et les comédiens venaient à chaque séance en donnant le meilleur d’eux même les mardi et jeudi soirs après de longues journées de cours. Toute cette énergie à ravaler est extrêmement frustrant. Surtout que le thème de la pièce, que j’avais écrite en août dernier et terminée en octobre 2019, avait un aspect quelque peu prophétique quant à la situation actuelle. La pesée du cœur, qui était, dans la mythologie égyptienne, une tradition où Anubis recevait les morts et les soumettait à l’épreuve de la balance. Il y déposait le cœur du défunt d’un coté, et une plume de l’autre. Si le cœur était aussi léger que la plume, le défunt allait au paradis. Dans le cas contraire, il était avalé par Ammout la dévoreuse d’âmes. La première question était, « qui, de nos jours, peut prétendre avoir le cœur aussi léger qu’une plume ? ». Cela traite et questionne notre responsabilité quant à la pérennité de notre monde et de notre civilisation. La pièce devait être montée sous forme de tableaux racontant différentes situations à travers le temps, en abordant les thèmes de la vie, de la mort, de l’après, de l’impact de la révolution sur notre présent, de la femme dans son combat quotidien, de la guerre, de notre société de consommation abrutissante et méprisante, de la dictature, celle que nous subissions insidieusement et qui éclate sans scrupule aujourd’hui, de la place de Dieu et du diable dans leur symbolique… tout avait été abordé avec une mise en scène aboutie qu’il ne restait plus qu’à mettre en place. Mais ce spectacle est écrit et il existera.
– Cette pause imposée par le confinement, a-t-elle été pour toi l’occasion de réfléchir sur ton métier ?
Je réfléchis tous les jours sur mon métier depuis qu’il fait partie de ma vie ! Parce que mon métier c’est d’être en réflexion et en action face à ce que l’histoire nous lègue, face à la vie que nous traversons, et aux vies que nous observons. Évidemment une partie de moi est craintive, il y a toujours des projets existants qui, pour le moment, sont gelés, et comme nous avançons sans aucune réelle information, cette immobilité ne rassure pas les artistes. Au contraire nous avons besoin de mouvement ! J’ai eu la chance d’avoir eu un tournage juste avant le confinement et d’avoir eu une collaboration avec Tarbes en scènes et le théâtre le Pari, pour créer trois vidéos éducatives sur le thème du théâtre, son histoire, ses codes, être comédien et être metteur en scène. Le métier trouvera toujours une voie, mais nous nous battrons toujours pour que la scène existe.
– Nous traversons une période difficile qui touche particulièrement le monde du spectacle. Comment vois-tu l’avenir et as-tu personnellement des projets ?
Il y a eu des discours qui fâchent, des mots sans aucun sens, brodés comme une belle écharpe pour mieux nous serrer le cou. En ce qui concerne le monde du spectacle et tous arts confondus je ne pense que nous devrions envisager le métier autrement, comme le suggère monsieur Macron, car c’était déjà le cas bien avant. Les artistes ne sont pas que sur scène, ils participent à l’équilibre intellectuel, émotionnel, et social en intervenant dans les écoles, les hôpitaux, les entreprises, les associations etc. Le théâtre, pour revenir dessus, est une discipline qui existe depuis au moins l’antiquité. Nous serons toujours là demain. En ce qui me concerne, j’écris depuis des années donc je continue à avancer sur des projets d’écritures, et d’autres projets que je ne peux pas encore dévoiler se mettent en place également. J’ai préféré voir ce confinement comme une occasion de faire ce qui avait toujours été mis de coté, repoussé, redouté. Il y a des faces à faces avec soi-même utiles et nécessaires, et il est intéressant de s’y confronter. Comme beaucoup le savent déjà, cette huitième création en collaboration avec le lycée devait être la dernière. J’ai pour objectif de repartir sur Paris d’ici quelques mois où de nouvelles portes s’ouvrent, et qu’il est temps de franchir. Je suis sensible au fait de devoir quitter cet atelier auquel je dois beaucoup, à tous ces élèves qui m’ont fait confiance durant toutes ces années et dont j’ai encore quelques nouvelles, j’aurais aimé offrir à cette dernière troupe, une magnifique célébration théâtrale afin de faire ma révérence dignement, mais il n’en sera pas ainsi, je partirai comme je suis venu, sans célébration ni dithyrambe, en souhaitant le meilleur à tous mes élèves. Je ne sais pas si l’atelier continuera d’exister, je pense qu’il faudrait garder un espace d’éveil artistique, pour que certains esprits puissent se révéler grâce à cette discipline, sinon, cela aura été une fabuleuse aventure.
– Pour finir, quels sont pour toi les meilleurs souvenirs de ta jeune carrière?
Le plus récent, c’est ma mise en scène de Don Quichotte au Festival de Gavarnie en 2019. Ce fut un travail colossal pour tout le monde mais le résultat en valait la peine. Au delà de la satisfaction que j’ai d’avoir accompli ce projet, ma grande joie est de l’avoir traversé avec une troupe exceptionnelle, profondément humaine, pro et généreuse. Ensuite chaque projet avec le lycée est un souvenir merveilleux et unique, à chaque fois je ne savais pas si j’allais y arriver, chaque spectacle était le dernier car en mettant la barre de plus en plus haut je prenais des risques. Mais lorsque je voyais les élèves heureux, beaux sur scène, et talentueux, je n’avais qu’une envie, c’était de recommencer l’année d’après, avec un projet toujours plus ambitieux.
Le journal d’un fou a été un cap important en tant que comédien et metteur en scène. c’était un projet que je couvais depuis des années, un spectacle très personnel dont je suis très fier. C’est une performance que je m’étais promise de faire et de porter, et ce projet a été une sorte de confirmation, que la mise en scène occuperait une place très importante dans ma vie.
L’équipe de ThéoNet remercie vivement Frédéric Garcès pour tout ce qu’il a apporté à nos lycéens durant ces huit années et est sûre que son immense talent sera reconnu à sa juste valeur à Paris.
L’équipe de ThéoNet