« Les Mille et Une Nuits » – Critique

Mardi 9 Octobre se jouait au Parvis et pour la première fois à Tarbes la pièce de théâtre « Les Mille et Une Nuits » du metteur en scène Guillaume Vincent.

L’histoire est connue : Le sultan Shahryar, à la suite de l’infidélité de son épouse, décide qu’il épousera chaque soir une jeune fille vierge, qu’il exécutera le matin suivant. Lorsque la fille de son vizir, Shéhérazade est désignée par le souverain, elle se met en tête de repousser le plus qu’elle peut l’échéance en lui contant la plus longue histoire du monde, les Mille et Une nuits. Chaque histoire est enchâssée dans une autre; ainsi, l’ingénieuse prolonge sa survie en ne finissant jamais proprement son conte. 

La pièce de Guillaume Vincent, bien que (logiquement) assez dense avec trois heures de performance, retrace certaines histoires des Mille et Une nuits à travers un prisme plus actuel, dans une France que l’on ne connaît que trop : ses déboires, ses travers, et parfois, son romantisme. Notre relation à la diversité, au racisme banalisé, au féminisme, au terrorisme et à la sexualité y est abordée de manière très intelligente. 

Les Mille et Une nuits, c’est tout d’abord un spectacle très beau. Le décor est d’un travail et d’une ingéniosité remarquables, on y entre et on en sort sans aucun faux pas. C’est un travail de déplacements et un rythme à tenir impressionnants. L’intérieur carrelé rose s’étend sur toute la longueur du fond de scène.  La dynamique des entrées et sorties est facilitée grâce aux portes du décor. Au centre, une double-porte composée de deux vitres sans teint triangulaires s’ouvre sur des décors interchangeables : une fois un escalier, l’autre, une caverne ! Deux portes sont dans les angles intérieurs de la salle et les passages s’effectuent aussi sur les côtés, en sortant du décor. C’est bluffant de cour à jardin, du haut jusqu’au bas. 

Les Mille et Une Nuits © Elisabeth Carecchio

Le jeu des lumières et du son donne, lui aussi, une explosion d’émotions qui nous tient en haleine, de l’anxiété à la peur grinçante dans la scène d’exposition, sublime (dans son exécution) car atroce (dans son propos) ! Ce sont eux qui transforment une salle rose plutôt banale en une scène glauque à l’ambiance pesante. C’est sous une lumière rouge et au son d’une alarme cruelle que les vierges de la première scène montent à l’échafaud, couvrant l’escalier intérieur de sang, chacune à leur tour. L’interrogation devient tension au rythme des mariées qui montent dans l’escalier. La lumière rouge donne le signal du meurtre de la précédente, et le nombre de femmes diminue en même temps que notre tranquillité face à la scène.

Les Mille et Une Nuits © Elisabeth Carecchio – La scène d’exposition

Le rythme est acquis : des mises en abyme successives au sein d’un même conte, et parfois, un retour à Shéhérazade pour resituer l’histoire. Les comédiens se plient à ces histoires tantôt drôles tantôt tragiques avec une facilité déconcertante ! 

Le jeu des comédiens est saisissant … lorsqu’il est compréhensible. C’est le point majeur qui m’a dérangé dans cette pièce, le manque de cohérence et d’explications que le public reçoit. Sans tomber dans la simplification à outrance, j’aurais apprécié des signes plus explicites du début et de la fin d’un conte. Cette succession d’histoires enchâssées peut parfois nous perdre, et l’explicitation aurait  tenu à un changement (de lumières, de costumes, de décors, d’acteurs, de voix …) plus visible pour resituer le conte qui se déroule.

Dans tous les cas, Guillaume Vincent a fait preuve de beaucoup d’audace stylistique. Souvent de manière très intelligente, mais parfois de manière peu intelligible. Pour un public jeune, souvent pas assez sensibilisé au théâtre, la pièce est belle mais distante. J’ai personnellement été très touché par le côté artistique de la pièce, mais trop rarement par les dialogues, parce que je ne les comprenais pas. Pleins d’avis et de découvertes me sont venus après avoir vu la pièce, et c’est ce qui me permet de l’apprécier autant. Mais en tant que spectateur, j’ai parfois été dans le flou total.

La présence de la nudité dans cette pièce est souvent bien vue. Les premiers tableaux de nu mettent en valeur la liberté des corps et c’est très à propos, dans une société qui se veut de plus en plus féministe. Mais lorsque le message progressiste tourne aux histoires lourdes qui ponctuent le conte sans être pour autant nécessaire à la pièce, il faut réprimer le rire gras et prendre conscience que nous voyons un homme s’avancer sur scène avec un pénis géant attaché à la taille. Je parle d’une scène qui illustre un conte des Mille et Une Nuits (on espère, en tout cas) où un homme découvre un génie, et lui demande de « faire grandir la taille de son zob ». Le génie s’exécute, mais une fois, il est trop gros (d’où le pénis géant), et une autre, il est trop petit. Tout ça pour une morale dont la pièce aurait pu se passer : Il faut se contenter de ce que l’on a. Même si cette scène grotesque est drôle et fait respirer la pièce, je doute que cette vulgarité renforce le message très contemporain de Guillaume Vincent.

Les Mille et Une Nuits © Elisabeth Carecchio

En clair, la pièce des Mille et Une Nuits est extrêmement touchante par la justesse d’interprétation de ses comédiens (Mustafa Benaïbout que l’on peut notamment voir sur la chaîne YouTube YES VOUS AIME) et par la diversité des astuces de lumière, de costumes et de décors que Guillaume Vincent a imaginées. C’est une adaptation pleine d’émotions et de dépaysement qui transpose ces contes orientaux à notre époque. Le chant, la danse et les couleurs orientales nous font voyager dans les souks animés du Caire, jusque dans l’intérieur chaleureux des maisons arabes avec leurs dialectes, leur musicalité et leur vie. L’aspect varié de tous les contes donne un véritable éclectisme à la pièce, allant du quasi-vaudeville à l’ambiance pesante et anxiogène de scènes de désespoir, et nous faisant passer du rire aux larmes en un claquement de doigts (et un coup de feu, parfois !).

Athys Doumerc