Retour sur son « Everest »

© Monica Gil

En ce début d’année scolaire, il nous a semblé évident de revenir sur le beau défi de Jean-Christophe Holzerny, notre philosophe triathlète, annoncé dans ThéoNet au mois de juin : le fameux Ironman de Nice.

 Comment votre course s’est-elle déroulée ?

Jean-Christophe Holzerny : « Ce fut une journée merveilleuse : baignade au lever du soleil dans la Baie des Anges, visite à vélo de l’arrière-pays niçois, et balade digestive sur la Promenade des Anglais. Tout cela avec buffet gratuit (enfin presque…) et à volonté sous un soleil radieux !

Plus sérieusement, toutes les conditions étaient réunies pour que les efforts consentis pendant 6 mois soient récompensés : une préparation solide et sans blessure et une motivation sans faille. Les 3,8km de natation ont donné le ton : convaincu qu’il ne fallait pas y perdre trop d’énergie, je me suis malgré tout retrouvé assez rapidement en tête de course chez les amateurs, dans un temps inférieur de 2’ à ce que je m’étais fixé (ce qui m’a valu d’être récompensé par une grande marque spécialisée). Je savais dès la sortie de l’eau que j’étais dans un bon jour. Mais je savais aussi que tout dépendait de la partie vélo : 180km et plus de 2000m de D+. Connaissant parfaitement le parcours (repéré plusieurs fois à l’entraînement pendant mes « vacances »), je décidais de partir prudemment et de laisser les spécialistes me rattraper et me doubler au moins sur la première partie. J’ai malgré tout perdu un peu trop de temps (une dizaine de minutes peut-être) en raison d’un souci matériel, mais sur une course aussi longue, c’est parfois un mal pour un bien. J’abordais en effet le marathon avec beaucoup d’envie et d’énergie. Je repensais à ces séances d’entraînement effectuées volontairement dans un état d’inconfort (sans ravitaillement et en pleine chaleur) pour me convaincre qu’ici, le jour de la course, ce serait toujours plus facile : « train hard, race easy » comme on dit ! J’allais vite m’apercevoir que j’avais raison, et que j’avais beaucoup de réserves par rapport aux autres concurrents. Soucieux de ne pas « tomber en panne », je gérais mon effort (en me forçant même à ralentir sur les 10 premiers kilomètres) et mon alimentation pour parcourir la distance en 3h11’ (chrono à peine espéré avant la course) dans un état de fraicheur surprenant et sur une allure étonnamment régulière. Il y avait même à l’arrivée, après la satisfaction d’avoir réalisé l’objectif que je m’étais fixé durant ces longs mois, le sentiment que j’aurais pu aller encore plus vite.

Bref, après 9h39 de souffrance et aussi de plaisir, je finissais enfin cette course, pleinement satisfait, d’autant que j’apprenais un peu plus tard que je faisais partie des qualifiés pour les championnats du monde à HawaÏ, course mythique s’il en est, et référence incontournable pour tout triathlète. J’ai décidé de ne pas m’y rendre, pour des raisons essentiellement financières mais le projet est désormais envisageable et donc très sérieusement programmé… »

Quel sens donnez-vous à ce genre d’épreuve ?

JCH : « C’est donc d’abord une réflexion sur la maladie, ou plutôt paradoxalement sur la santé, inspirée de ce que soutenait G. Canguilhem, et qui correspond au projet de l’association « A chacun son Everest » : la santé n’est pas « le silence des organes » (Bichat), cet état dans lequel nous ne savons plus que nous avons un corps tant nous l’avons contraint au mutisme, mais au contraire la capacité de se confronter à des situations extrêmes dans lesquelles nous sentons que nous sommes vivants ; être en bonne santé, c’est être « plus que normal », c’est-à-dire être capable de créer des normes nouvelles. Autrement dit, l’expression « dépasser ses limites » n’a pas de sens puisqu’il faudrait pour cela les connaître; de même pour le malade, lutter contre la maladie signifie refuser de la considérer comme une limite ou une norme, et s’y confronter comme le moyen d’atteindre une santé nouvelle.

Plus largement, et d’un point de vue philosophique, la place du corps dans nos sociétés influencées par le cartésianisme est curieusement contradictoire : il y a à la fois une obligation morale au bien-être et un culte du corps, et en même temps une certaine rupture entre le corps et la conscience ou l’esprit qui demeure privilégiée : au mieux le corps est une machine qu’il faut nourrir et entretenir, au pire un fardeau que nous sommes condamnés à supporter. Or comme le suggérait Spinoza, « nul ne sait ce que peut le corps », tant dans ses capacités propres que dans sa participation à la connaissance de soi et du monde qui nous entoure. La santé de l’esprit passe par la santé du corps…

Cette réflexion peut aussi s’étendre à l’existence tout entière, et c’est la vie que nous pouvons considérer comme une épreuve à laquelle il faut donner un but, un sens, c’est-à-dire à la fois une signification et une orientation. Exister c’est s’engager dans une voie incertaine et comme pour tout défi sportif, le chemin compte autant que le but, d’autant plus lorsqu’on n’est jamais sûr de parvenir à l’atteindre. »

Tenez-vous à remercier des personnes qui vous ont soutenu dans ce projet ?

JCH : « Ma course n’était pas une fin en soi, mais un engagement au profit de l’association « A chacun son Everest ». Je tiens donc en premier lieu à remercier toutes celles et tous ceux (famille, amis, collègues,…) qui par leur don ou simplement leur soutien et leurs encouragements, m’ont permis de réussir ce défi au-delà de mes espérances. Merci également à votre journal numérique ThéoNet, dont la qualité n’est plus à prouver et qui a fait connaître mon projet à l’intérieur comme à l’extérieur du lycée (et parfois très loin de nos frontières!). Merci à mes élèves qui se sont montrés bienveillants (ou compatissants ?) en apprenant ce que je m’infligeais quotidiennement. Merci aussi à la direction qui m’a accordé les quelques heures nécessaires, avant et après la course, pour la préparer dans les meilleures conditions, et bien sûr, récupérer de mes efforts. »

Avez-vous reçu des témoignages touchants ?

JCH : « Oui et je souhaite partager avec vous tous cette lettre de remerciement qui m’a été envoyée de la part de l’association « A chacun son Everest », qui suffit à justifier tous mes efforts et qui m’incite à poursuivre mon engagement à leur côté :

Je suis extrêmement impressionnée. Tout d’abord par la réussite du défi sportif mais également pour votre magnifique mobilisation à tous les deux.

Je vous transmets également un petit témoignage reçu de la maman d’une jeune fille qui est venue en stage. Il est très touchant, je voulais vous le partager car vous participez aussi à tout cela ! « C’est avec une immense reconnaissance et le cœur rempli d’émotion que je retrouve ma petite Salomé après une semaine passée chez vous. C’est une petite fille remplie de joie et d’émerveillement que j’ai retrouvé qui a passé une semaine dont elle se souviendra toute sa vie. Je crois qu’elle a gravi son Everest et que papa et maman ne pouvaient pas l’aider à faire ce qu’elle devait faire seule. Merci, infiniment. Merci.

Il n y a pas de mots pour décrire toute la reconnaissance que j’ai pour votre engagement à tous. Je ne sais pas si vous avez vraiment conscience des énormes répercussions du bien que vous faites à des familles entières.

C’est des rêves plein les yeux qu’elle s’endort ce soir et nous le cœur léger de la savoir apaisée. 

Encore mille mercis pour toute l’énergie que vous avez déployée à l’occasion de cette journée pour les enfants d’A Chacun Son Everest ! C’est très touchant. Nous sommes très fiers que vous fassiez partie de notre belle cordée solidaire.

Marie »

Manon Coltée, Andrei Defta & Raphael Giannotta