Sophie Germain, l’oubliée de la Tour Eiffel

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Célébrons la journée internationale des droits des femmes en rendant hommage à Sophie Germain ! Quand on parcourt les grands noms de l’histoire des mathématiques, on se rend compte, qu’avant le 20ème siècle, peu de noms de femmes apparaissent. Ceci s’explique sans doute, par le fait, qu’à cette époque, on pense que les femmes sont inférieures aux hommes dans certains domaines, dont les mathématiques, et plus généralement, les sciences. On pense que leur « petit » cerveau de femme ne peut  supporter de faire de grandes études, que les mathématiques sont trop difficiles pour elles, trop abstraites et que, de toute façon, cela ne leur servirait à rien de les apprendre. 

Il n’y a d’ailleurs pas, avant la fin du 19ème siècle, d’école secondaire pour les filles. Les premiers établissements, appelés « Lycées de Filles », sont créés en 1880. Les filles peuvent donc enfin aller dans des lycées publics,  mais n’ont tout de même pas droit aux mêmes enseignements que les garçons. Il faut attendre 1924 pour que les filles suivent les mêmes enseignements que les garçons et en particulier en mathématiques.

C’est donc dans une France du 19ème siècle dans laquelle les filles ne peuvent pas aller à l’école et où on considère que  les femmes, dans les classes sociales supérieures, ne doivent pas travailler, mais se marier et avoir des enfants, que grandit Sophie Germain.

Elle a 13 ans, en  1789, pendant la Révolution Française et habite à Paris, dans un quartier où la Révolution fait rage et dans lequel il y a des émeutes. Toute sa famille a peur et Sophie reste donc confinée dans sa maison durant toute cette période.
Issue d’une famille aisée, son père cultivé possède une grande bibliothèque. Pour s’occuper pendant ce confinement forcé, Sophie lit tous les livres qui se présentent à elle et découvre l’Histoire des Mathématiques au travers de l’ouvrage du même nom de Jean-Étienne Montucla, écrit au 18ème siècle.
Même s’ il comprend certaines notions mathématiques complexes, ce livre, qui se lit comme un roman, passionne Sophie.
Elle y découvre l’histoire d’Archimède, l’un des plus grands savants de l’antiquité grecque (3ème siècle avant J-C) qui vit à Syracuse. Lors du siège de Syracuse par les Romains, le grand général romain ordonne à ses soldats de ne surtout pas tuer Archimède. Un soldat romain tombe sur un homme occupé à faire des figures de géométrie. Il lui demande qui il est. L’homme, absorbé par ses recherches, ne veut pas lui répondre. Le soldat le tue sans savoir qu’il est en train d’assassiner Archimède, l’un des plus grands savants de l’histoire.
Au travers des livres de la bibliothèque de son père, Sophie explore donc le monde extraordinaire des sciences. Elle apprend seule les mathématiques ainsi que le latin, car beaucoup de livres scientifiques sont à l’époque écrits en latin.
Les parents de Sophie lui interdisent dans un premier temps, de faire des mathématiques. Mais elle se cache dans sa chambre, étudie la nuit… Face à  son obstination, ils décident de la laisser poursuivre ses apprentissages, ne l’obligeant pas non plus à se marier et à avoir des enfants. Sophie n’aura donc pas de mari pour « subvenir à ses besoins » et ce sont ses parents, puis ses sœurs, qui tout au long de sa vie,  lui donneront de l’argent pour qu’elle puisse continuer à étudier et faire des mathématiques.

En 1794, s’ouvre à Paris, une école pour des mathématiciens et encadrée par des mathématiciens, qui deviendra en 1814, l’école Polytechnique, l’une des plus grandes écoles scientifiques de France. Sophie aimerait pouvoir y étudier les mathématiques modernes car dans ses livres, elle n’a accès qu’à des mathématiques anciennes. Mais l’école n’est évidement réservée qu’aux garçons.
Cependant, l’enseignement qui y est dispensé est un enseignement participatif. Les cours et exercices sont reproduits sur des feuilles distribuées aux étudiants et ces derniers peuvent envoyer des messages à leurs  professeurs pour demander des explications ou faire part de leurs recherches sur des exercices….


En 1797, Sophie décide donc d’entrer en correspondance avec les professeurs de mathématiques de l’école sous le nom d’emprunt d’Antoine Auguste Leblanc.

Elle échange ainsi des écrits avec « l’illustrissime » Professeur Lagrange. Celui-ci se rend compte rapidement des qualités de compréhension, d’analyse de cet « Auguste Leblanc » et  souhaite rencontrer celui qu’il considère comme son meilleur étudiant. Quand il découvre qu’il s’agit en fait d’une étudiante qui plus est, ayant appris les mathématiques toute seule sans jamais être allée à l’école, il est encore plus émerveillé. Il devient son ami et son mentor.
Elle rencontre le mathématicien Legendre et découvre avec lui la théorie des nombres, une branche des mathématiques qui, à l’époque, n’intéresse qu’assez peu de monde. Elle va donc s’intéresser au « Théorème de Fermat », propriété écrite comme une remarque par Fermat en 1670, dans la marge d’un de ses livres et dont personne n’arrive depuis, à en établir la démonstration.
Sophie se lance donc dans la démonstration de ce théorème de Fermat. A l’occasion de ses recherches, elle lit et travaille sur le livre Disquisitiones arithmeticae de l’allemand Carl Friedrich Gauss, aussi appelé le « Prince des mathématiciens ».  Les concepts mathématiques développés par Gauss dans son livre, sont d’une complexité absolue. Mais Sophie les comprend et souhaite pouvoir échanger avec Gauss sur son livre et sur ses propres recherches.  Elle établit donc avec lui une correspondance très enrichissante à la fois pour elle et pour lui, en ayant toutefois pris soin de reprendre son nom d’emprunt d’Auguste Leblanc, afin d’être sûre que Gauss ne mette pas ses courriers à la poubelle en découvrant qu’elle est en fait une femme.
En 1806 éclatent en Europe et en particulier en Prusse (Allemagne) les guerres Napoléoniennes.  Or Gauss vit à l’époque en Prusse. Sophie, se rappelant de l’histoire d’Archimède, décide de demander à un général de l’Armée Napoléonienne, ami de son père, de veiller à la sécurité de Gauss. Le général envoie donc un de ses soldats le rencontrer.  Lorsqu’on l’informe qu’une certaine Sophie Germain s’inquiète pour lui et souhaite qu’il soit protégé, Gauss indique qu’il ne connait personne qui s’appelle Sophie Germain . Il découvre alors qu’Augustin Leblanc, avec lequel il entretient des correspondances extrêmement enrichissantes, est en fait une femme.
Il aurait ces mots pour Sophie Germain dans une lettre du :

« Comment vous décrire mon admiration et mon étonnement, en voyant se métamorphoser mon correspondant estimé M. Leblanc en cette illustre personnage, qui donne un exemple aussi brillant de ce que j’aurais peine de croire. Le goût pour les sciences abstraites en général et surtout pour les mystères des nombres est fort rare : on ne s’en étonne pas ; les charmes enchanteurs de cette sublime science ne se décèlent dans toute leur beauté qu’à ceux qui ont le courage de l’approfondir. Mais lorsqu’une personne de ce sexe, qui, par nos mœurs et par nos préjugés, doit rencontrer infiniment plus d’obstacles et de difficultés, que les hommes, à se familiariser avec ces recherches épineuses, sait néanmoins franchir ces entraves et pénétrer ce qu’elles ont de plus caché, il faut sans doute, qu’elle ait le plus noble courage, des talents tout à fait extraordinaires, le génie supérieur. En effet, rien ne pourrait me prouver d’une manière plus flatteuse et moins équivoque, que les attraits de cette science, qui ont embelli ma vie de tant de jouissances, ne sont pas chimériques… »

Lors de ces travaux sur le Théorème de Fermat, avec les soutiens de Legendre et Gauss, Sophie Germain va énormément contribuer au développement de la Théorie des Nombres, inventant de nouvelles méthodes mathématiques, des théorèmes pour résoudre des équations jusque là, insolubles. Sophie Germain ne publiera jamais ses recherches et théorèmes en son nom. Ils seront insérés par Legendre dans son livre à lui, Théorie des nombres.

En 1808, l’Académie des Sciences ouvre un concours sur un problème soulevé par un acousticien Ernst Florens Friedrich Chladni : En prenant des plaques métalliques très souples sur lesquelles on dispose une très fine couche de sable, puis en faisant passer l’archet d’un violon contre cette plaque, on produit du son et le sable se met à dessiner des figures géométriques tout à fait remarquables qui sont, en plus, différentes les unes des autres selon la hauteur du son qui est produit.
L’objectif du concours de l’Académie des Sciences est donc de réussir à établir  « la théorie mathématique » qui explique ce phénomène.
Le professeur Lagrange pense qu’il faut inventer des mathématiques qui n’existent pas pour solutionner ce problème et Sophie se lance donc dans l’étude des surfaces élastiques.

Elle écrit un premier mémoire qui n’est pas récompensé car l’équation principale qu’elle a formulée pour modéliser le problème de la vibration est jugée incorrecte par le jury. Le mathématicien Lagrange s’intéresse malgré tout beaucoup à ses recherches et à son équation « fausse » et produit, grâce à elle, une équation « juste » désormais appelée équation différentielle de Lagrange qui sert aujourd’hui de base à l’analyse statique et dynamique des plaques.
Son deuxième mémoire obtient une mention honorifique mais le problème des plaques élastiques n’est toujours pas résolu.
En 1814, le mathématicien Poisson affirme qu’il a trouvé la solution à la question. Mais la formule qu’il a déduite est trop inspirée du deuxième mémoire remis par Sophie Germain et son mémoire à lui comporte des erreurs. Le Prix de l’Académie des Sciences ne lui est donc pas remis.
Avec son troisième mémoire, Sophie remporte en 1816 le prix de l’Académie des Sciences.
C’est la première fois qu’une femme l’obtient mais comme c’est une femme, l’Académie ne publie pas ses travaux.
En 1921, elle publiera, à son compte d’auteur, son mémoire qui va inspirer son ami Joseph Fourier et Henri Navier, scientifiques qui résoudront définitivement le problème des plaques élastiques.

A la fin de sa vie, elle subit, comme nombre de ses amis mathématiciens, les conséquences de la Révolution de Juillet qui éclate en 1830. Dans les dernières correspondances qu’elle entretient avec eux, elle s’inquiète pour Augustin Cauchy, contraint de s’exiler, déplore la disparition en de son ami Joseph Fourier, est angoissée par le sort d’Évariste Galois renvoyé de l’École normale pour son implication dans les événements de 1830.
Elle meurt, en 1831, à 55 ans, des suites d’un cancer du sein.

Sur sa tombe, il sera écrit « rentière » car elle aura vécu toute sa vie des rentes de ses parents et de ses sœurs. Mais aucune épitaphe ne figurera sur sa vie de mathématicienne et ses nombreuses découvertes.

Au 19ème siècle, on redécouvre ses correspondances.  Sa tombe, encore visible au Père-Lachaise, sera réhabilité. Désormais, il y est inscrit : « Sophie Germain, Philosophe et Mathématicienne ».

Mais Sophie Germain restera quand même la grande « oubliée de la Tour Eiffel ». En effet, tout autour de la Tour Eiffel, sont inscrits, en lettres d’or, les noms de 72 savants du 19ème siècle mais celui de Sophie Germain, n’y figure pas. Ceci est particulièrement injuste quand on sait que, lorsqu’elle a étudié les surfaces élastiques, lors du Prix de l’Académie des Sciences, elle a initié des théories mathématiques et des modélisations qui ont été très utiles pour la conception de  la Tour Eiffel. Sans ses travaux et découvertes, ce magnifique édifice n’aurait sans doute pas pu être construit.

Sophie Germain est devenue une grande mathématicienne sans avoir pu aller à l’école : c’était une autodidacte. Elle a appris seule les mathématiques et a même ensuite inventé et développé de nouvelles notions mathématiques.
Aujourd’hui, rien n’empêche les femmes de se lancer dans des carrières scientifiques sauf la représentation qu’elles ont  d’elles mêmes. Les petites filles pensent sans doute encore que les mathématiques et la physique ne sont pas pour elles. Sophie Germain nous prouve le contraire.

Hélène Lafitte

2 Comments on “Sophie Germain, l’oubliée de la Tour Eiffel”

  1. Bonjour,
    La photo de votre article ne représente pas Sophie Germain mais Sofia Kovalevskaya (mathématicienne russe). Cela a déclenché une belle séance sur la recherche d’image dans notre classe !

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