En janvier 2018, on cherche des vœux qui soient « originaux et sincères », des résolutions qui soient « réalistes » et on angoisse quant à l’approche imminente du Bac blanc. Mais moi, je fais un autre choix : celui d’échapper à toute cette pression que le 1er janvier – auquel on semble accorder un pouvoir particulier – nous impose. Je choisis de me rappeler des beaux moments de 2017 – ceux qui m’ont fait espérer, rire, ceux qui m’ont émue. Et j’en partage un avec vous, chers lecteurs. En octobre de l’année passée – alors que le Parvis présentait ses « Scènes à l’italienne », une programmation de trois spectacles venus d’Italie, après avoir ouvert sa saison avec du cirque aux Haras de Tarbes – j’ai eu la chance de pouvoir assister à la représentation de Le Sorelle Macaluso, une pièce écrite par Emma Dante qui met en scène sept sœurs siciliennes.
Tout commence avec l’enterrement de l’une d’entre elles. L’événement est sordide mais il agit comme la véritable porte d’entrée à un tourbillon d’émotions et permet de dévoiler les relations uniques de ces sœurs, de raviver les souvenirs d’enfance, de revenir sur un passé plein de non-dits. En effet, la parole occupe une place centrale dans le spectacle. Elle montre d’abord les liens très forts qui unissent les sœurs, qui piaillent et rient sans cesse, et les superbes actrices nous font oublier pendant un moment qu’elles ne sont de la même famille que sur la scène. Le spectateur est plongé au sein de leurs disputes, transporté dans leur mémoire collective. Le potentiel d’identification aux personnages est d’autant plus important que chaque comédienne incarne avec justesse une personnalité singulière construite subtilement et qui apporte toujours quelque chose de différent à la dynamique familiale. Mais les mots deviennent plus graves lorsqu’ils révèlent les culpabilités, les aveux et les déclarations pleines de sincérité. Cela permet aussi de faire avancer l’intrigue dans laquelle réside une pointe de suspense. Je fus captivée du début à la fin et très émue à de nombreuses reprises. Fascinée par ces femmes qui dansent devant mes yeux et qui ne font qu’accroître mon émotion. Assurément, ce spectacle est aussi une danse et je me dis que ces corps qui se meuvent représentent paradoxalement la mort de la manière la plus brute.
Au-delà des histoires de famille, la mort est omniprésente dans la pièce. Elle est universelle et touche tous les spectateurs. Le spectacle explore notamment ce qu’elle provoque, ce qu’elle réveille des temps anciens et fait intervenir sur scène des figures du passé. Lorsque j’ai vu les personnages de la mère et du père entrer sur le plateau, j’ai craint d’être déçue, de ne plus être immergée dans le cocon créé par les sept sœurs. Mais cette scène dansée est probablement une des plus belles de la pièce. C’est la magie de la création d’Emma Dante : l’équilibre qui réside entre les scènes, les personnages, entre la chorégraphie et la parole, entre le noir de la mort et les couleurs de la vie, entre les moments de joie ou de mélancolie heureuse et ceux de colère ou de désespoir.
Ces émotions riches, c’est ce qu’avaient retenu Tristan Cordeil, responsable de la communication du Parvis et Emmanuel Gérard, assistant de la Direction en charge du développement, que j’avais pu rencontrer à l’issue de la représentation. De leur œil aiguisé, ils avaient relevé l’équilibre dans la construction du spectacle, qui « démarre un petit peu froidement et embarque le spectateur en construisant à partir de ce froid presque fantomatique » pour laisser place à « énormément d’amour » malgré le « peu de joie » résidant dans ces « tranches de vie ». Cette rencontre avait été pour eux l’occasion de me rappeler que pour ces comédiens italiens, faire du théâtre est une « nécessité ». Selon Tristan Cordeil, les artistes d’aujourd’hui n’existeraient pas – ou alors en grande marginalité – sans les soutiens publics, ce qui leur permet d’ailleurs une grande liberté de ton ; en Italie, ces subventions étant très rares, il existe ainsi une sorte de sélection naturelle des artistes très forte de laquelle ne découle donc que des spectacles d’une grande qualité. Emma Dante continue de tourner en Italie mais présentera également Bestie di scena à Paris au Théâtre du Rond-Point, à Antibes et Montbéliard, et Verso Medea à Toulon dans les prochains mois.
Alors en ce mois de janvier, quand je friserai la crise de panique en essayant de retenir les formules mathématiques ou les dates des mandats des présidents américains, je me rappellerai de cette soirée d’octobre durant laquelle j’avais pu me laisser submerger par l’émotion (et non pas par la quantité de travail). Cette émotion suscitée par la force du spectacle vivant, par l’italien parlé et joué avec énergie, par le partage, par les rencontres enrichissantes. Finalement, j’ai trouvé ma résolution réaliste : continuer d’aller au théâtre pour être émue, pleurer, rire, échanger et vivre. Ce sera également ce que je souhaite dans mes vœux sincères : en 2018, je nous souhaite de nous confronter à l’art et de (re)découvrir encore et encore notre humanité partagée !
Julie Régnier